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Accompagner l’émotion intense d’un ado… et lui faire confiance !

ImageAlicia est une adolescente de 15 ans qui en a déjà sans doute plus vu dans sa vie que moi à 30 ans.
Maltraitance, violence sur la maman, alcool, drogues, piercings, scarifications, fugues en compagnie de personnes marginales…
Elle a été accueillie dans plusieurs foyers dont le dernier dans lequel elle a été en fugue plus de 80% du temps.

Alicia est arrivée chez nous, désignée comme une jeune fille avec qui tout avait été tenté et avec qui il serait compliqué d’accrocher quoi que ce soit.

 

 

ImageBon, je l’écris pour que ça soit dit tout de suite, cette ado, je l’adore ! J’ai pris un plaisir de dingue à l’accompagner au quotidien dans ses doutes, ses peurs, ses colères, ses joies, ses crises, ses provocations… Des yeux pétillants de vie, de malice, de générosité, de défi aussi, oh oui, de défi ! …

A qui je peux faire confiance ? Quelle étiquette on va encore me coller sur la tête ? Je vais te prouver que t’as tort… Je vais te montrer que je ne suis pas l’image que tu as de moi… Tu vas voir ! Je te tiens, salaud… Mais au fond, je suis qui, moi ? Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de moi ? C’est quoi toutes ces émotions que je ressens ? Qui me chamboulent tous les jours ? J’ai besoin qu’on m’apprenne à devenir moi. J’ai besoin de vérifier que je suis aimée. J’ai besoin de m’aimer… J’ai tellement besoin d’être guidée sur ce chemin dans lequel je me suis perdue, que je ne connais pas. Je ne trouve pas la route, j’ai peur, aidez-moi… Et en même temps, ne m’approchez pas trop. Je ne sais pas qui vous êtes, je ne sais pas ce que vous allez faire de moi. Je ne veux pas me perdre à nouveau. Je veux qu’on m’aide à devenir moi. Pas à devenir l’image que vous voulez voir à travers moi. Je ne veux pas me perdre dans vos projections. Guidez-moi, mais sachez que si vous vous approchez trop, je fuis…

Fuis-moi, je te suis. Suis-moi, je te fuis.

Une jeune fille qui n’avait besoin, finalement, que de choses existentielles : se sentir aimée, se sentir exister aux yeux de quelqu’un, s’aimer, se trouver.
Une adolescente douée d’une sensibilité très fine, d’une grande intelligence d’esprit… et de cœur.

J’en ai connu des ados… j’en ai accompagnés, j’en ai apprécié de nombreux pendant près de 10 ans.

Mais Alicia est celle qui me file le frisson quand je repense au lien que nous avons créé ensemble, à l’intuition qui m’a été précieuse pour trouver les mots, les attitudes, les gestes qui la mettraient en confiance. Qui ne lui donneraient pas envie de tout foutre en l’air. De faire le contraire de ce qu’elle imaginait que j’attendais d’elle.

ImageMon secret ? Une profonde authenticité dans la relation. De moi envers elle. Sans aucune attente en retour. Sans objectif à atteindre. Être. Une attention inconditionnelle. Jouer carte sur tables. Et lui faire confiance. Avoir confiance en son jugement, en son discernement, en ses choix. Et lui donner la chance de vivre ses expériences sans être celle qui allait lui dicter sa conduite (elle aurait fait le contraire par principe).  Lui permettre de modéliser des attitudes qui l’aideraient à se trouver elle. Lui parler de moi (certains diront « bouuhhhhh, et le professionnalisme, et la distance relationnelle !? »… et bien je pense que je n’ai jamais été plus professionnelle et humaine…), de mon adolescence, de ce qu’elle voulait savoir. Parce qu’elle avait besoin que quelqu’un lui en parle, et de voir que malgré les blessures et les erreurs, on pouvait ré-apprendre à devenir de plus en plus proche de Soi. Et que je pense que les ados en foyers manquent cruellement de retours d’expérience… que c’est nécessaire pour eux de pouvoir entendre le vécu des adultes. Et savoir être suffisamment fine et subtile pour lire entre les lignes et arriver, au bout de quelques mois, à ce que ses non soient des non et ses oui soient des oui. Pour qu’elle ose se dire. Pour qu’elle puisse elle-même entrer dans de l’authenticité. Et que le jour de son départ, alors que je suis en réunion, elle demande à me voir pour me dire au revoir… Serrage dans les bras, larmes, merci… Merci à toi A.

Globalement, les éducateurs lui collaient l’étiquette qu’elle voulait bien les laisser lui mettre sur le front et arrivaient à la limite de ce qu’ils pouvaient proposer tant elle pouvait les mettre à bout. Oh oui, ça, elle savait faire ! Elle en a épuisé du monde. Image

J’ai moi-même parfois eu envie de baisser les bras. Mais ce n’était juste pas possible ! Je n’avais pas envie, je ne pouvais pas ! Mon intuition était tellement plus forte et j’étais passionnée par ce qu’elle mettait en place. Je prenais vraiment plaisir à la voir mettre en place ses stratégies, à la voir agir. Et je le lui disais. Ca désamorçait parfois une situation qui pouvait aboutir en conflit (je pourrai d’ailleurs vous expliquer cette technique, ça peut aider… lors d’un prochain article 🙂 ). Elle était pétillante, pleine de vie et en même temps si perdue et tellement en demande.

ImageCar tout ce qu’elle mettait en place n’était tellement qu’une façade. Ca me semblait tellement évident… Ca ne l’a été que pour moi et c’est sans doute ce qu’elle a senti… très intuitive elle aussi 🙂
Une ado passionnante… passionnée… Je crois, le coup de coeur de ma carrière d’éduc spé.

En écrivant ces lignes, j’ai des images qui me reviennent, des moments de rires, de pleurs, de cris, de provocations. Mais quelle vie il y avait en elle !!!!

 

L’exemple

J’ai souhaité parler dans cet article d’un de ces moments qui m’a particulièrement marqué.
Pour montrer par cette expérience comment accompagner un ado en situation de détresse. Dans une colère noire et sans doute d’autres émotions plus profondes non exprimées. Comment trouver le juste milieu entre autoritarisme et laxisme… Comment laisser à l’adolescent la possibilité d’être un ado, plus un enfant.

J’étais de service ce matin-là. Quelques jeunes étaient présents. Je ne me souviens plus exactement le contexte, mais je montais faire le tour des chambres sans doute pour voir si tout allait bien.

ImageAu deuxième étage, Alicia était dans sa chambre, agitée, montrant à la fois beaucoup de colère par son agitation et son opposition et de tristesse par les larmes qui coulaient sur son visage. Elle était en train de préparer un sac dans l’idée de « fuguer ».

Je lui ai demandé ce qui se passait. La seule réponse qu’elle était en mesure de me donner était des phrases qui devaient ressembler à : « Dégage », « Casse-toi », « Fiche-moi la paix ».

A l’époque, je ne connaissais pas le modèle du cerveau dans la main (cf. en fin d’article), et en la visionnant aujourd’hui, ça prend tout son sens !!

J’ai tenté le dialogue et j’ai rapidement compris que c’était peine perdue, ce n’était pas possible pour elle à ce moment-là de raisonner ou de communiquer.

Je lui ai dit que je ne souhaitais pas la laisser partir dans l’était dans lequel elle était. Évidemment, ça ne lui a pas plu et elle m’a bousculée à plusieurs reprises pour sortir, vivant ma présence peut être comme un enfermement ou une autorité qu’elle ne souhaitait pas. Elle n’en avait vraiment pas après moi et je ne me suis à aucun moment sentie visée par ses propos ou ses gestes. Elle était inondée par une tempête intérieure et pour moi, il aurait été malvenu qu’en plus je projette sur elle mes propres émotions (étonnement, c’était presque le calme plat chez moi). J’insistais sur le fait que je la voyais complètement chamboulée et que je refusais de la laisser partir dans cet état.

Puis, sentant que quelque chose n’était pas ajusté, je me suis positionnée dans l’encadrement de la porte, je l’ai stoppée fermement et avec bienveillance par les épaules et lui ai demandé de me regarder dans les yeux juste 1 minute. Avec bienveillance, empathie et en même temps une grande fermeté, je lui ai expliqué que lorsqu’on est sous le coup d’une émotion aussi forte, on n’est pas en capacité de prendre des décisions ajustées. Je lui ai dit que j’avais besoin d’être sure qu’elle prenait une décision en pleine conscience et je lui ai demandé, toujours en gardant le contact physique de mes mains sur ses épaules et visuel en la regardant dans les yeux, de prendre 15 minutes dans sa chambre pour faire retomber la pression et prendre la décision qu’elle estimait juste pour elle. Plus ou moins, si elle en ressentait le besoin. Et qu’une fois qu’elle aurait pris sa décision sans être sous le coup de l’émotion, alors je la respecterait, quelle qu’elle soit.

Alicia est restée attentive durant cet instant que j’ai ressenti comme puissant et complètement ajusté, à la fois pour moi et pour elle. Elle a accepté. Je suis descendue. Je ne me souviens plus du laps de temps qui est passé… peut être une dizaine de minutes. Alicia est descendue, elle a fait le choix de rester. J’avoue que je me suis sentie soulagée et contente de ce choix. Et en même temps, si elle avait fait le choix de partir, je l’aurai accepté de la même manière.

Nous sommes montées dans sa chambre et avons longuement discuté pendant qu’elle rangeait ses vêtements.

 

Juste milieu entre autoritarisme et laxisme : authenticité ?

Si j’avais adopté une posture « autoritariste », j’aurai pu l’enfermer dans sa chambre, lui interdire de sortir, la « punir » (pardon, je ris et je reviens) pour m’avoir bousculée, la menacer…
Si j’avais adopté une posture « laxiste », j’aurai pu lui ouvrir la porte d’entrée pour qu’elle sorte, lui dire « c’est ta vie, tu en fais ce que tu veux… », me moquer réellement de ce qui se passait pour elle et ne faire aucun cas de la décision qu’elle était en train de prendre.

La décision que j’ai prise a été celle de l’aider à prendre une vraie décision et non ré-agir émotionnellement à quelque chose en lui laissant le temps de se re-brancher à sa capacité de penser. Et à lui faire confiance. A lui laisser sa responsabilité d’ado de faire un choix et de ne pas dépendre du regard et de l’autorité de l’adulte. Lui laisser faire SON choix. Être elle. Sans jugement. Sans blâme. Dans le respect et l’acceptation de SA décision. En respectant son état du moment avec une réelle empathie ; en étant en lien.

C’est en ayant vécu des situations comme celles-ci – et qu’elles sont nombreuses – que je me rends compte à quel point les ados m’ont appris à être l’éducatrice et la professionnelle que je suis aujourd’hui. Merci à eux. Merci à Alicia et à tous ces jeunes qui m’ont formée et chez qui j’espère avoir semé ne serait-ce qu’une petite graine, quelle qu’elle soit.

 

Vidéo du Modèle du Cerveau dans la Main :

9 réflexions au sujet de « Accompagner l’émotion intense d’un ado… et lui faire confiance ! »

  1. beaucoup aimé cette tranche de vie que tu nous racontes !
    Je parlais justement de posture aujourd’hui, c’est totalement ça; la posture intérieure, celle qui est juste et qui donne de l’autonomie tout en aidant vis à vis des émotions.
    Merci d’avoir su si bien le mettre en mots !

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  2. Un grand merci pour ce témoignage et qui rejoint exactement ce que j’avais essayé de vivre quand j’étais éduc, d’être dans une posture bienveillante pour aider le jeune à prendre de la distance. C’est une sensation étrange, n’est- ce pas, de se sentir calme malgré une situation complexe face à un jeune.
    Bonne continuation et au plaisir de continuer à vous lire,

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    1. J’aime les mots que vous employez… « essayé de vivre »… car on vit bel et bien avec eux. Ce n’est pas qu’un contrat d’employeur à professionnel mais bien une relation d’humain à humains qui se crée et s’entretient entre l’éduc et le jeune 🙂

      Sensation particulière qui, en tous cas pour moi, me permet d’être efficace et d’avoir une posture ajustée au plus possible.

      Au plaisir de vous relire également 🙂

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  3. Bonjour et bravo ! J’approuve votre posture sur cette situation. J’ai 46 ans, je suis AMP et en formation d’Educ. Ce que vous avez mis en pratique ici, c’est tout le travail et les recherches que je fais. A savoir comment faire que notre autorité soit légitimé en travaillant sur l’autonomie de la personne ? La juste distance ? Marie de Hennezel la définit ainsi : « La juste distance, c’est être capable de distancier ses émotions tout en acceptant d’être leur disciple ». Toute ma pratique est orienté sur ces notions avec comme support et tiers : Le principe de réalité. Je vous souhaite de continuer, pleins de bonnes choses pour la suite 😉

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    1. Bonjour Marc,
      Bienvenue ici et un grand merci d’avoir pris un instant pour commenter cet article.
      La « juste distance relationnelle » est propre à chacun, ce qui fait qu’on ne peut pas la théoriser d’une manière générale pour tout le monde. J’aime bien la définition de Marie de H., merci de nous l’avoir partagée 🙂
      Je vous souhaite également un beau chemin en tant qu’éducateur, qui sera une belle continuité de ce que vous faites en tant qu’AMP 🙂
      Pour ma part, j’ai pris un autre chemin que l’éducation spécialisée « sur le terrain » car ce genre de posture est assez malvenue là où je travaillais. Je diffuse donc mon message autrement 🙂
      Au plaisir, Elodie

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      1. Je suis bien d’accord avec vous, la juste distance est propre à chacun. C’est pourquoi, il faut tenter de trouver les concepts universels qui se spécifieront en chacun. J’ai écris un article sur l’actuel numéro de DOC AMP sur la question de distance auprès des seniors qui est différente de celle des enfants et ados. Il sera disponible à l’achat unique dans quelques semaines. Si il n’y a pas de méthode universelle, il y a des concepts qui quant à eux, nous permettent de garder le cap que la personne se fixe. A nous ensuite d’accompagner 😉

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